dimanche 27 novembre 2011

François Terrasson, chercheur hors normes

Maître de Conférences au Muséum national d’histoire naturelle, auteur de pièces de théâtre, de sketches irrésistibles en patois berrichon (et en alexandrins !), baroudeur, bon vivant, érudit, drôle, déroutant et brillantissime, François Terrasson était un personnage référent pour tous ceux qui l'avaient rencontré.
François est mort en 2006. Il nous reste sa pensée originale, son éclairage - si nécessaire aujourd’hui - sur les raisons profondes, inconscientes, qui poussent notre civilisation à détruire la nature.


François et ses ruches, lors de ses fameuses "beuveries apicoles", au cours desquelles il invitait ses amis dans son Berry natal (photo DR)





Voici une présentation de mon ami François Terrasson, que j'ai rédigée pour la réédition de son livre "La Civilisation anti-Nature".

Libérez le sauvage !


« Laissez la nature à un protecteur de la nature, et celle-ci est foutue ». C’est avec ce genre de formule que François Terrasson a déstabilisé certains écologistes, qui ne l’ont pas tous bien compris. François n’était pas contre la nature, il était contre ceux qui la dénaturent. Tous. Y compris ceux qui se croient obligés d’aménager des nichoirs artificiels à des oiseaux libres sachant parfaitement construire leur nid tout seuls.

Évidemment, on peut rétorquer qu’il vaut mieux aménager que de détruire. Mais l’aménagement est une vision à court terme, qui a une fâcheuse tendance à se contenter de peu. Terrasson voyait plus loin, plus large, plus grand. Il nous rappelait la puissance émotionnelle de la nature, ce sentiment presque magique  qu’elle suscite en nous et que nous avons aujourd’hui quasiment oublié. Avec une lucidité à la fois terrible et amusée, il avait décrypté dans nos inconscients la peur du naturel, c’est-à-dire du non maîtrisé par l’humain. Il voyait dans ces habitudes des protecteurs de tout mettre en réserve, aménager, baliser, flécher, sécuriser, le même fonctionnement que ceux qui détruisent sans état d’âme. Elle s’immisce dans toutes les têtes, notre civilisation anti-nature !

Chaque jour, la télévision nous distille sans même s’en rendre compte des aberrations que quasiment plus personne ne songe à remettre en cause. « Dangerosité » inquiétante de la montagne, de la neige en hiver (si, si !), du soleil, de la plage, des vagues, des petites bêtes qui piquent, du grand méchant loup, des arbres qui ont le culot de tomber, et autres scandaleuses menaces dont notre civilisation entend nous préserver jusqu’à l’infantilisation. Bref, tout ce qui ne vient pas de l’homme est l’ennemi désigné, et l’on occulte au passage les véritables dangers dus aux chimies diverses dont nos corps sont pollués. Pour l’humain téléspectateur d’aujourd’hui, la nature n’est plus qu’un centre de loisirs sévèrement encadré, où l’on n’ose pénétrer qu’accompagné de professionnels certifiés.

La voix originale de François Terrasson tranche net sur cette pensée unique omniprésente. Les rapports que l’homme entretient avec la nature furent un point clé de ses réflexions. Il est un des rares chercheurs - pour ne pas dire le seul - à avoir analysé les mécanismes secrets de nos sociétés, les causes de ses dérèglements et les sources profondes de nos maux sous l’angle de l’anti-nature. Avec « l’anthropologie de l’espace » imaginée par son ami psychiatre Claude Leroy, François Terrasson révélait les effets de nos lieux de vie sur nos inconscients. Inutile de préciser que l’univers gris et rectiligne des villes et des banlieues, qui donne un sentiment de non-existence, peut inciter à la déprime, à la violence ou à la révolte. En tuant la nature extérieure, on tue notre nature intérieure et notre émotivité.

Terrasson a rouvert la porte du sauvage, du spontané et de l’imaginaire, libérant au passage nos émotions enfouies. Il organisait de fameux stages au cours desquels il proposait à ses victimes (consentantes) de passer une nuit seules en pleine nature, sans lumière, juste pour se tester, pour se confronter enfin aux forces originelles. Des expériences étrangement proches des rites initiatiques pratiqués dans des civilisations plus en harmonie avec la nature que la nôtre.

François Terrasson a passé sa vie à réhabiliter ses complices la vase, les ronces et les friches ; la nature sensible, magique et puissante ; mais aussi l’organique et l’émotionnel dont nous sommes pétris, sans jamais opposer l’homme et la nature. Au moment de sa disparition en janvier 2006, il avait l’intention de mettre en place un « Centre stratégique d’influence naturaliste », qui nous manque cruellement aujourd’hui. Par ses conférences, ses actions, ses écrits, François a eu le temps de semer de belles graines bien sauvages de révolution dans quelques esprits. Souhaitons qu’elles trouvent d’autres terres assez fertiles pour germer bientôt.

Les trois ouvrages de François Terrasson ont été réédités aux éditions Sang de la Terre (La Peur de la Nature, La Civilisation anti-Nature, Pour en finir avec la Nature). Celui-ci est un recueil d'inédits, que je vous recommande tout aussi chaudement.

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